mercredi 21 décembre 2016

avec Françoise Pétrovitch (1)

Françoise Pétrovitch vient de s’installer dans un magnifique atelier, tout dernièrement aménagé en son bout du monde, dans la banlieue parisienne.. le lieu est inondé de lumière, vaste et parfaitement accueillant. Je suis passée ce jour là pour regarder, découvrir.. juste regarder les oeuvres prendre naissance sous cette belle voûte créatrice. Un collectionneur pousse toujours ainsi les portes de ces lieux paisibles, refuges de grande solitude pour l’artiste et d’inattendu pour le passant un peu animé par une envie impalpable de « surprise », d’étonnement.. de ce petit frisson intérieur qui, sans intention, débroussaille un bout de chemin parmi les strates d’états d’âme.. une aventure !! oui je pense qu’il s’agit d’une aventure..
Le printemps est là. Je me souviens les crocus sortaient de terre..

Quelle surprise m’attend une fois le seul franchi ?.. Il y a tout d’abord le silence et ce ton murmuré qui se calque sans entrave sur l’atmosphère recueillie des lieux !! tout est impeccable, telle une chambre d’enfant méticuleusement rangée avant un nouvel anniversaire, un presque Noël.
Il y a surtout le papier, partout, beau, blanc, aux grains parfaitement sélectionnés par l’artiste.. Il y a la fragilité de l’eau enroulée dans les couleurs délavées.. il y a le dessin, il y a la trace !! il y a tout simplement la présence d’un travail énorme, sans relâche d’inspiration, aucunement.. Il y a la beauté.
Il y a surtout l’émotion, une émotion timide au regard de  " tout ça " .. les dessins disent l’enfance, ils disent les animaux familiers, les lapins, les oiseaux, ils disent les éclats de moments capturés sur les rayonnages du temps.. il y a une sourde résonance avec ce qui, au fond de moi, demeure blotti dans l’inquiétude d’être révélée.. il y a tout ça, là, au grand jour sans dérangement aucun de cet atelier..
L’artiste ouvre de vastes tiroirs, dérange avec de délicates attentions le papier de soie, ou le papier calque, ces feuillets de transparence protecteurs des oeuvres.. Mon regard devient silencieusement bavard.. Il plonge derrière le dessin, recherche la matière et cette intention imperceptible mais totalement exprimée de l’artiste.. ou bien c’est moi qui, dans cet état de presque hypnose, pioche au fond de mon être des vagues de mémoires fanées et soudainement animées…

Le bonhomme de neige apparaît, ronde boule blanche poudrée pétrie par des mains enfantines.. oui ses bras sont ces deux branches dénudées et noueuses ramassées un jour d’hiver dans une allée de tilleuls argentés.. et la carotte vient d’être déterrée directement de ce lit de sable déposé dans la réserve des outils de jardin, dans l’obscurité. C’est ainsi que ces tubercules orangés passaient l’hiver.. jadis !!.. et le ciel bien sûr est cotonneux !!
Eternel bonhomme de neige..

 Françoise Pétrovitch - Bonhomme de Neige, 2013
© Collection IdL

lundi 19 décembre 2016

avec Bill Culbert

L'été je pense ronronnait sous les poiriers de " chambre avec vue ", là bas au bout du Luberon.. j'étais venue cueillir quelque fraîcheur au verger.. l'eau gargouillait au creux de ce petit ruisseau façonné par un artiste.. l'herbe était donc verte et n'avait pas succombé aux allures de paille qui soudain avaient tapissé la campagne de ce bout de sud par ailleurs particulièrement assoiffé.. les fruits à maturité ricochaient de temps à autre sur une table de bois à la solide élégance campagnarde..une guirlande de chaises aux tons fanés, mais ô combien " tendance" , gambade autour de cette espace convivial, ô combien!! ce doit être dimanche!! disons que c'est dimanche..
Des artistes sont là en résidence, des amis toquent à la lourde porte de la bâtisse et font escale au jardin.. au fil des heures, un couvert est dressé, savoureux et tellement généreux.. une bouteille de vin se débarrasse de son bouchon.. L'ombre du flacon s'affale sur le bois.. et là, Bill Culbert, discrètement attablé, saisit un appareil photographique et j'observe sa façon, avec la délicatesse muette d'un chat, de s'approcher de cette oeuvre, duo magnifique entre une bouteille de vin et son ombre. J'écoute alors les dire de Bill.. l'ombre et la lumière.. l'éclat.. ce pas deux improvisé.. le vert profond du flacon,  l'ombre sombre de sa silhouette allongée sur le bois. Clic clac.. l'oeuvre est !
Je comprends alors.. l'ombre et la lumière, les deux inséparables qui jouent au jour et à la nuit, aux éclats de rires et aux secousses de larmes.. oui la lumière est ombre. L'ombre est lumière. Une réconciliation!

Nous parlons, longtemps, sans bruit.. Bill évoque alors son travail. Je découvre ses créations articulées souvent autour du néon.. des bidons de plastiques alignés réunis par cette barre lumineuse, des chaises transpercées par cet éclair jaune.. il est aussi des valises !!
Une valise de voyage, Samsonite, indifférente et parfaitement banale.. la valise de tout le monde ..la valise qui prend l'avion et s'enfuit sur les tapis roulants des salles d'embarquements.. destinations inconnues.. confusion de tous ces départs, de tous ces retours.. des étiquettes articulent des noms de villes codifiés.

J'aime les valises.. des boîtes aux serrures.. pour les secrets.. les mystères.. je les soustraie souvent aux installations des antiquaires ou des brocanteurs.. elles me parlent de voyages imaginaires.. de ceux peut être rêvés au fond d'une cabane de l'enfance ou de ceux, irréalisables - mais si c'est pas sûr, c'est quand même peut être elles qui me transporteraient en des ailleurs improbables.. et vains !!

La valise au néon reste allumée sur mon plancher de chêne.. ma lumière ! petit faisceau rassurant.. nous nous évadons ensemble, quelquefois.. sur un tapis volant!
Nous revenons toujours, là !

Bill Culbert - Valise et néon, 2009 -
© Collection IdL






vendredi 16 décembre 2016

avec Pip Culbert en 2009 (3)

L'automne a déjà dévêtu nos campagnes.. quelques fruits presque squelettiques hésitent encore à rejoindre le tapis de feuilles rousses mises à terre.. une jonchée que nous nous surprenons toujours à piétiner..  un craquèlement enfantin radieux murmure alors la symphonie délicieuse d'autres automnes..
Mais ce jour d'octobre, ou de novembre peut-être, je suis au verger, à Saignon, chez Pierre et Kamila.. j'ai découvert ce lieu il y a peu.. là, j'ai pris doucement des habitudes d'escales en chambre d'hôtes.. être а la campagne..  vous savez.. pour un feu de cheminée, une balade dans les bois ou les champs de lavande, sous la haute protection du labrador au manteau champagne.. pour glisser aussi mes pieds  dans des godillots déformés, ces souliers toujours en attente dans une entrée.... la boue est là aussi, belle empreinte des pas, de la terre.
Ce jour donc, je déambule en ce verger.. les confitures ont été patiemment cuites, les fleurs cueillies ou séchées, les graines récoltées.. Une saison intermédiaire, immobile, juste suspendue aux rafales du vent et aux avalanches de pluie qui, sans tarder, gribouilleront cette palette de flanelle. Le bois aura été rentré.. l'hiver alors sera..
Là, au fond de ce verger, sous la protection bienveillante de ces fameuses pommes - ou poires - en fin de saison, deux chaises côte à côte. Non pas vraiment côte à côte plutôt posées en biais, le regard de l'une s'orientant vers l'autre, en angle droit.. les assises se frôlent, osent.. de veilles gabardines accaparent ces drôles de personnes, mi-vagabonds, mi- épouvantails.. des parures trop vastes, bien trop vastes pour ces carcasses décharnées.. soudain pour moi ces deux chaises de jardin décolorées par trop d'étés, par trop d'hivers, sont devenues " mes " deux personnages.. un dialogue muet mais tellement assourdissant.. tant de temps ensemble..
Il s'agit de Conversation, œuvre de Pip Culbert.
Galopent alors dans mon esprit de multiples interrogations sur " deux ", cet étrange et merveilleuse association de deux êtres qui clopin clopant traversent la vie.. demeurent la complicité, le frôlement des tissus, d'un genou.. un regard..  ils se tiennent encore la main et leurs peaux sont devenues trop grandes.. chut.. ils ont une histoire!..
Cette Conversation se poursuivra sur mon plancher de chêne.. venez les écouter!! ils disent encore tant..


Pip Culbert - Conversation - 2009
© Collection IdL 





jeudi 1 décembre 2016

avec Marcus Kreiss, Sophie Braganti, Soutard

C'est un soir de juillet  2012.. la lumière va bientôt s'absenter derrière l'horizon, là-bas, plein ouest.. Je viens du sud..

Ma petite carriole, étonnante roulotte d'une transhumance estivale, déborde de tous " mes " nécessaires, vaste inventaire biscornu qui animera, je sais, mon campement estival.. trois semaines au bord de l'océan, de l'Océan Atlantique, mon tremplin de joie et de vie balloté par les écumes et les coquillages, les prouesses des nuages, la dignité de la Dune du Pyla.. et la mélancolie du bassin, grande baignoire d'eau inlassablement dérangée par les mouvements perpétuels des marées.. six heures d'absence et le découvrement alors d'un tapis vaseux pigmenté de bigorneaux ébènes et de crabes boiteux.. six heures aussi d'eau immobile plantée alors des piquets sombres et moussus des parcs à huîtres.. sortes de sillons kidnappés à l'alignement des vignobles ! flottent alors les pinasses, vastes barques plates, de noir de goudron badigeonnées, bateaux des ostréiculteurs, les paysans des mers !!
C'est un véritable jardin, celui qui fut cet étonnant terrain de jeux et de découvertes, lorsque, enfant, une grand-mère de terrain nous conviait à savourer lа nos grandes vacances.. les rites du mois de juillet reprenaient alors, sans monotonie, petites merveilles qui scandaient nos jours et rassuraient les doutes du temps en partance..

Ce soir là, j'avais déjà récupéré la clé de cette grande maison de bois dénichée l'hiver précédent.. le vin de l' Entre deux Mers avait été livré..  en blanc, en rosé, en rouge.. de quoi colorer de plaisir les joues de ma petite troupe !
Les bicyclettes reposaient contre le grand pin..
Demain, et les jours suivants, mes amis, mes enfants, mes artistes..  arriveront, doucement, à leur rythme.. Ils sont tous convoqués pour réaliser un petit film, une vidéo d'art qui retiendra les dernières traces d'une maison de famille..  notre maison, celle de nos ancêtres depuis la Révolution, celle qui retiendra pour longtemps - pour toujours? - tous ces immenses minuscules qui se sont imprimés alors sur les murs, entre les portes, derrière les fenêtres, sous les carreaux de terre cuite ou du plancher à la française.. cette demeure emplie de toutes les imperfections que le temps, ce maître, a gravé sans camouflage, ni masque, aucunement.. Une demeure dans toute la brutalité de sa sincérité. Belle, juste belle, recroquevillée sous les empreintes de tant de saisons..

Marcus Kreiss est là, en famille. Il assurera le scénario et la musique de ce petit film. Nous nous sommes souvent rencontrés pour évoquer ce travail.. j'avais alors déroulé les rubans de mes mémoires.. lui seul est désormais  responsable d'essorer tout ça et de ne conserver que la dignité d'un au revoir sincère, sans dramaturgie aucune !..
Kamila Regent s'installera aussi dans une des cabanes de la maison de vacances. Kamila est galeriste.  Elle me présenta un jour Marcus. Elle sera notre coordonatrice, le chef d'orchestre du projet.
Mes quatre enfants s’éparpillent et puisent dans ce rassemblement les délices de véritables vacances familiales. Leurs amis vont et viennent, les bicyclettes s’éclipsent et reviennent.. les paniers et autres corbeilles de rotin regorgent vite de coquillages nacrés, inévitables cueillettes des bords de mer.. la grande table au-dessus du bassin est infinie.. nous sommes douze, nous sommes quinze, nous sommes dix !! la joie déborde, les rires ricochent sur les grands arbres, un ballon bondit de temps à autre et bouscule les verres.. Un piano, dans la vaste pièce, égrène ses notes.. il y a toujours un apprenti musicien de passage !!
Il y a Sophie Braganti, écrivain et poète. Elle s'installera dans la petite chambre, un peu monacale,  derrière la cuisine.. la nécessité du calme.. Elle rédigera là une nouvelle, Quand les volets, qui accompagnera aussi ce travail de mémoires.
A ses côtés une autre amie, Helga, poursuivra l’écriture, difficile, d'une épopée familiale.
Marie et son appareil photo a été conviée aussi pour capturer d'autres images..

Il est temps désormais d'envisager le voyage vers la grande demeure familiale magnifiquement bâtie sur les hauteurs des vignobles  bordelais. Elle nous attend. Elle est l'actrice principale de cette petite mémoire qui s'enroulera ensuite sur la bobine..

Nous passerons un jour tous ensemble là. Un seul jour de tournage..
Le 24 juillet 2012, une vingtaine de personnages se réunissent donc là bas, sur le perron moussu de Soutard.
Chacun découvre à sa façon les lieux.. il y a le potager, le poulailler, le cuvier, les greniers, le parc un peu dévasté par de trop nombreuses tempêtes.. les fleurs sauvages seules osent déranger les herbes folles.. Kamila cueillera ces étonnées pour de vastes bouquets..
Nous dresserons un couvert de fête.. le tire bouchon paternel fera encore résonner un bouchon de liège ..  l'ivresse familiale emplira les verres, une dernière fois.
François nous aura offert ensuite de délicieuses ripailles, de son bar à vins, l'Envers du décor, puisés.. vastes sacs de papier craft qui s’éparpilleront dans l'herbe, sous le somptueux hêtre pourpre..
Y'a de la joie !
Marcus concentre le tournage sur l'espace du bas.. les salons, la salle à manger, les longs corridors, terrains de nos galopades enfantines entre l'univers des grands parents et celui des parents.. notre petite frontière que nous traversions souvent sans permission..

Merci les enfants, mes enfants, de votre présence.

Au revoir forever..

La video de Marcus Kreiss est disponible 
sur demande par mail auprès de IdL. 
Ci-dessous quelques images qui en sont extraites 
de même que l'ouvrage de Sophie Braganti et Frédérique Nalbandian 
©Marcus Kreiss 2012   © Idl 2012   © Sophie Braganti 2012 

      






 "Quand les volets"- Sophie Braganti - Frédérique Nalbandian